Inside no9 : pourquoi vous devez regarder cette série

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On le sait de source sûre, de nombreux lieux de tournage, plateaux, décors de cinéma sont hantés. Il y a de nombreuses explications à cela, dont notamment leur étonnante capacité à se transformer en espaces liminaires, espaces intermédiaires, lieux d’attente angoissants, quelque part entre le réel et l’imaginaire, entre le réel et la simulation.

L’histoire du cinéma déborde d’histoires de tournage les plus inquiétantes les unes que les autres, les tournages de l’Exorciste ou de Poltergeist en sont des exemples parmi d’autres. Jennifer Carpenter, actrice interprétant le rôle d’Emily, la jeune étudiante dans l’Exorciste, déclarera avoir été victime de mystérieux évènements. Elle racontera que sa chaîne hifi s’allumait brusquement la nuit et toujours au même moment de la même chanson : “Alive” de Pearl Jam, le moment où on entend “je suis toujours en vie”.

Quand ce n’est pas parce que des esprits frappeurs sont visiblement trop investis dans leur rôle, c’est parce que les studios ont la fâcheuse habitude d’être construits au mauvais endroit. Les Studios Paramount étant construits à proximité d’un des plus vieux cimetières d’Hollywood, rien d’étonnant à ce que des fantômes viennent hanter ses murs, comme celui de l’actrice principale de Poltergeist de Steven Spielberg, Heather O’Rourke, décédée à 12 ans des suites d’une maladie, aperçu maintes fois à cet endroit des années après sa mort. Sur le tournage de Poltergeist, l’acteur Oliver Robins avait également failli perdre la vie dans un accident et une des actrices fut assassinée à l’âge de 22 ans l’année de la sortie du film. Les vrais squelettes utilisés pour la scène de la piscine étaient-ils à l’origine de cette malédiction ? C’est une piste à suivre en effet.

Old Granada Studios

Certains d’entre-vous ont peut-être pu, qui sait, visiter les Studios Granada à Manchester. Les studios sont fermés et abandonnés en grande partie depuis 2013 et ont une histoire assez chaotique mais la visite des studios a bénéficié d’une hype y attirant plus de 5 millions de visiteurs entre 1988 et 1999 avant de s’arrêter et de rouvrir pour six mois en avril 2014.

Lors d’une visite guidée d’une heure environ, il vous était alors proposé de découvrir quelques décors mythiques comme une reproduction de Time Square pour le premier décor extérieur de Coronation Street mais aussi des rues de la série Les aventures de Sherlock Holmes, et on ne le savait pas encore à l’époque mais c’est aussi dans une des parties des studios partiellement rouverts qu‘ont été tournées certaines scènes de Peaky Blinders. Le point culminant de la visite était la fameuse rue utilisée dans Coronation Street, alors que le tournage continuait d’avoir lieu un jour par semaine, parce que oui, Plus belle la vie n’a qu’à bien se tenir car Coronation street détient depuis 2010 le record du deuxième feuilleton télévisé le plus ancien au monde puisqu’il est diffusé depuis 1960 avec plus de 10.000 épisodes à son actif. La réplique du Rovers Return, devenu entre-temps le pub le plus connu de Grande-Bretagne — autant que le Mistral est le bar le plus célèbre de Marseille — était aussi un des points culminants de l’expérience. Petite anecdote en passant, le début du clip de la chanson I want to break free de Queen sorti en 1984 est une parodie de la série Coronation Street, voilà fin de l’anecdote.

Des bouts de ville à la fois bien réels et en même temps imaginaires puisque la série se passe dans une ville fictive, inspirée de la ville de Salford (les ressemblances avec Plus belle la vie commencent à devenir troublante je vous l’accorde). Et il faut savoir que ces décors n’attirent pas seulement le chaland pour les séries qui y ont été tournées, mais également pour d’autres raisons beaucoup plus sombres qu’il m’incombe de vous relater maintenant.

2005 : le show Most Haunted consacre un épisode au set de Coronation Street. L’émission rapporte un certain nombre d’événements paranormaux survenus pendant le tournage et après le tournage. Des rumeurs racontent que des fantômes d’acteurs décédés viendraient hanter le décor. De nombreux acteurs et techniciens parlent du malaise qu’il leur est arrivé de ressentir, et il semblerait que ce sentiment soit partagé par un grand nombre de personnes ayant été présentes sur les lieux. Des objets disparaissaient régulièrement lors de tournage, comme la bouteille d’alcool préférée d’un acteur de la série, décédé un an auparavant. Certains racontent que l’odeur de ses cigarettes de l’acteur a continué de hanter épisodiquement le décor.

Difficile de savoir ce qu’il en est vraiment, si les studios ont joué de leur réputation lors des visites et en ont profité pour en rajouter une couche, mais certains visiteurs font état de silhouettes étranges errant sur le set, non loin notamment de l’endroit où sont entreposés les costumes de la série Coronation street. Une des réponses données par Most Haunted est la localisation des studios qui auraient été construits sur un ancien cimetière victorien comptant 22.000 tombes. De nombreux accidents les plus terribles les uns que les autres ont été reportés au fil des années : incendies, accidents. Tout le monde se souvient alors du terrible accident de Bobby Davro dans les années 90, lors de l’enregistrement d’un jeu télévisé, lorsque le pilori auquel il est attaché bascule.

Un endroit bien étrange, donc, dont certains studios ont été épisodiquement partiellement rouverts, mais où il faudrait quand même être fou pour tourner, … et encore plus pour y tourner un épisode en direct.

C’est pourtant ce que Reece Shearsmith et Steve Pemberton prévoient de faire en diffusant en direct donc, le 28 octobre 2018 l’épisode spécial de leur série Inside no 9 pour Halloween. Un fiasco couru d’avance, mais ils ont eu le mérite d’essayer.

Si vous aimez WestworldThe Twillight zone ou encore Black Mirror, cette série télévisée dont la saison 1 sort en 2014, est une pépite que vous risquez d’adorer. Il s’agit d’une série d’anthologie — dont les épisodes sont indépendants les uns des autres sur le plan narratif, comme Black Mirror. Si vous aimez les plot twists, les scénarios créatifs et surprenants, le mélange des genres, alors vous êtes au bon endroit. Certains épisodes sont basés sur la surprise et l’émotion, d’autres davantage sur l’horreur, d’autres mêlant humour noir et une atmosphère digne des plus grands thrillers. Une comédie noire, parfois hilarante, parfois touchante, parfois profondément angoissante ou macabre.

Chaque épisode de la série se déroule au ou dans le numéro 9, comme son nom l’indique. Il ne s’agit pas forcément d’un numéro d’appartement ou de maison, même si c’est le cas dans certains épisodes : le 9 désigne le lieu au sens spatial du terme mais aussi au sens narratif donc ne soyez pas surpris de voir se dérouler le premier épisode de la série (« Sardines ») dans une armoire où les personnages jouent à une variante d’un jeu de cache-cache, qui ne se déroulera pas tout à fait comme prévu.

Il faut à cette étape que je fasse un gros trigger warning pour une bonne partie des épisodes dont certains peuvent être très dérangeants.

Chaque épisode se joue donc à hui-clos, mais cette unité de lieu n’est en rien le signe d’un confort pour le spectateur. D’ailleurs je le redis, 9 c’est plus qu’un lieu, c’est un signal. Dans un de mes épisodes préférés de la série, Diddle diddle dumpling (saison 3, ep.5), 9 est la pointure de la chaussure que le personnage principal trouve devant chez lui et dont il se met en tête se retrouver le propriétaire.

Outre l’unité de lieu, vous aurez également le plaisir d’admirer le génial jeu d’acteurs des deux créateurs de la série, Reece Shearsmith et Steve Pemberton puisqu’ils jouent eux-mêmes des rôles clé dans chaque épisode. Les deux créateurs viennent du théâtre et Pemberton est apparu dans Doctor Who entre autres. Ils sont également tous les deux les créateurs de la série Psychoville.

D’ailleurs je dis « épisodes préférés » mais je ne saurais même pas vous dire quels sont mes épisodes préférés. The 12 days of Christine et sa “fête” du nouvel an (saison 2 ep2) ? Cold comfort (saison 2 ep4) et ce coup de fil si lourd de conséquences ? Private view (saison 3 ep6) où les invités d’un vernissage ne savent pas pour quelle raison ils ont été invités mais le découvriront à leurs dépends. Ou alors Bernie Clifton’s dressing room et la reformation, le temps d’une soirée, du célèbre duo comique des années 80 Cheese and Crackers ? Ou encore The riddle of the sphinx (3,3), dans lequel un professeur de l’université de Cambridge aide une étudiante à résoudre une grille de mots croisés cryptiques.

Tellement d’épisodes incroyables (la saison 9 est d’ailleurs programmée pour 2024). … En 2018, l’épisode spécial Halloween, tourné en direct dans les studios Granada réputés hantés, auraient pu être une des plus grandes masterclass de l’histoire de la télévision. Un trop plein d’audace peut-être ?

Ils avaient pourtant tout prévu : annonce d’un épisode spécial Halloween donc : Dead Line, en direct à la BBC le 28 octobre 2018.

Une rencontre avec la presse la veille, organisée dans un cimetière pour faire un clkin d’oeil au scénario de l’épisode et évidemment aux studios Granada. Lors de cette rencontre, les créateurs de la série se sont montrés très professionnels, ont discuté de questions techniques et publicitaires avec les partenaires, accordé des photos et interviews aux médias, et tout le monde croisait les doigts pour que tout se passe bien le lendemain. Un sentiment d’excitation et de crainte à la fois, surtout quand on connaît les studios.

Les spectateurs savaient plus ou moins à quoi s’attendre en terme d’intrigue et de personnages puisque le trailer de l’épisode dévoilait certains éléments : Pemberton sous les traits d’un certain Arthur Flitwick trouve un téléphone portable abandonné dans un cimetière et tente de contacter son propriétaire. Assez classique finalement dans la conception, et l’aspect théâtral avec l’unité de lieu laisse penser à quelque chose d’assez traditionnel, et donc d’assez “faisable”, surtout pour ces deux génies, même si les rumeurs sur le studio les amènent à prendre des « précautions supplémentaires ». On sait déjà que le direct c’est risqué en général, mais dans des studios hantés en plus, il fallait quand même pas mal de courage. Par superstition sûrement d’ailleurs, les créateurs ont souvent seulement sous-entendu que l’épisode serait tourné dans ces studios. quelques jours avant la diffusion, le Daily Star annonce que les responsables de la BBC auraient fait marche arrière, effrayés par les incidents et décès liés à’Coronation Street. L’article rappelait également qu’un prêtre avait été appelé en 2017 pour exorciser le plateau après qu’un groupe a vu exploser son matériel en pleine répétition dans les studios.

La hype était à son maximum pour les fans de la série Inside no9 et l’attente assez forte, notamment sur Twitter. En même temps, tout y est : série géniale, instabilité du direct, histoire de fantômes. Le cocktail parfait pour une bonne soirée de frissons.

Et en effet, tout commence parfaitement comme prévu : à 22h pile, l’épisode commence : Arthur Flitwick rentre dans son appartement, le numéro 9 bien sûr, avec ses courses, et ce téléphone qu’il a ramassé, dont il compose le dernier numéro appelé. D’autres personnages sont présentés dont un révérend légèrement inquiétant qui rend visite à Arthur afin d’aider à retrouver le propriétaire du téléphone. C’est là que quelque chose ne semble pas se passer comme prévu : des problèmes de son surviennent, laissant les acteurs converser silencieusement, puis un écran d’attente apparaît, afin de permettre aux équipes techniques de détecter la panne et de la réparer.

Retour de la série, nouveaux soucis techniques, nouvelle interruption. Au bout de 9 minutes seulement d’épisode chaotique et d’interruptions, la BBC annonce l’annulation et le report de l’épisode en direct, et diffuse à la place un épisode de la première saison : « A Quiet night in », « le silence est d’or » en français. Vous vous imaginez le bazar sur Twitter et la déception des twittos de l’époque.

Sur le million de téléspectateurs présents lors de la diffusion, ⅕ ont ragequit pour ce qui devait être de surcroît une sorte de final de la saison 4, ou d’épisode inaugural de la saison 5 à venir.

Un fiasco. À moins que…

Je citais à l’instant l’épisode des mots-croisés, et il est assez emblématique de la série : les créateurs mettent en scène une énigme dans l’énigme jusqu’à la véritable résolution du mot-croisé, qui n’est pas du tout ce à quoi on s’attendait. Inside no9 a toujours été une série meta, qui aime surprendre ses fans en cachant des easter eggs destinés à la frange la plus attentive des spectateurs. Chacun des épisodes cache en effet quelque part un lièvre, et chaque visionnage se transforme en même temps en chasse aux trésors. Dans l’épisode du Sphinx, un arrêt sur images sur la grille du mot-croisé laisse apparaître « on lepus », un lièvre, en latin. Des clins d’œil au public le plus assidu de la série qui est habitué à chasser les indices que les créateurs leur auront peut-être laissés.

Un clin d’oeil, et une sorte de message adressé à l’inconscient des fans renforçant le lien entre ces derniers et les créateurs de la série.

Un clin d’œil. Oeil ouvert, oeil fermé, oeil ouvert. Attendez… c’est précisément ce qui se passe le 28 octobre 2018 vers 22h09 : moteur, pause, moteur, pause. Son, silence, son, silence, épisode muet…

Alors que les vrais fans de la série sont encore devant leur poste de télévision, apparaît brusquement, superposée à une scène de A quiet night in, un fantôme au costume victorien, comme l’irruption du passé dans le présent de la diffusion ou la possession des machines du tournage par des esprits du passé.

Une oreille attentive aura de toute façon été déjà trigger au tout début de l’épisode par la présence de sons étranges ou la présence de bruit blanc à certains moments. Vous avez compris : le véritable épisode commence maintenant.

Et en effet, les spectateurs sont au même moment en train de voir les deux créateurs en loge, en coulisse du tournage, interagissant sur les réseaux avec les internautes, tentant de comprendre ce qui se passe, dans des studios qui s’avèrent rapidement … réinvestis par ses fantômes.

Tout avait donc été planifié depuis le début. Le public et les médias avaient été préparés, le plan avait été minutieusement élaboré par les deux créateurs pour tromper tout le monde. Du génie : le jeu avec les réseaux sociaux, l’ingénieuse imbrication de la fiction, de la réalité et de l’hyper-realité du prank télévisuel, la manipulation du spectateur et le jeu avec ses attentes, ses superstitions, des croyances ; les fausses pistes, l’interaction avec les internautes : un tour de force technique et narratif digne de la série, récompensant les spectateurs les plus fidèles en les emportant dans une fiction brillamment menée, prenant place dans un lieu aussi fictif que réel, et où les créateurs de la série jouent cette fois leur propre rôle, dans une attaque de fantômes savamment orchestrée. Dead line, la frontière entre le faux de la fiction et le faux-vrai des scènes de coulisses, le basculement d’une histoire dans une autre, qui n’est même pas un simple basculement puisque l’histoire de départ n’est en fait pas du tout abandonnée dans la suite de l’épisode.

Je vous invite à visionner l’épisode, même si ça ne permet pas de revivre l’expérience qu’ont vécue les spectateurs ce soir-là. Et je vous invite évidemment à visionner la série, vous l’aurez compris.

Ce soir là, confortablement assis dans leurs canapés mais saisis d’effroi devant la suite de l’épisode, les spectateurs découvrent intégrées dans l’épisode des images d’archives : on retrouve l’épisode de Most Haunted ainsi qu’un faux reportage autour du décès d’un accessoiriste du studio qui avait avant sa mort évoqué ces terribles forces qu’il croyait à l’oeuvre ici. À la fin de l’épisode, alors que les deux protagonistes ont été tués en direct par les fantômes de Granada apparait un extrait de leur participation dans The One Show trois jours plus tôt, suivi de la scène de leur mort par balle dans A quiet night, rejouée encore et encore, comme si les fantômes n’en avaient pas encore fini avec nous.